Dérives, risques et abus en médiation équine

La médiation équine en général, et l’équithérapie en particulier, connaissent un fort développement depuis le début des années 2000. Les demandes du public sont très présentes, les médias s’intéressent de plus en plus fréquemment à nos actions, et nous ne pouvons que nous réjouir de cette attractivité après avoir connu, depuis les années 70, le sentiment de prêcher dans le désert.

Mais à toute médaille son revers, car si l’arrivée des nouvelles technologies n’est certainement pas étrangère à la médiatisation de l’équithérapie, elle a aussi certainement favorisé l’apparition d’approches parfois fantaisistes, et parfois franchement inquiétantes.

Des thérapeutes autoproclamés aux formations spiritualistes, nous vous proposons un tour d’horizon des dérives les plus courantes en matière de médiation équine, des moyens utilisés par ces praticiens pour induire le public en erreur, et des questions à se poser pour éviter d’être victime de ces abus.

Notre approche : une critique des démarches pseudo-scientifiques

Les questions que nous soulevons nécessitent une réflexion préalable autour de la notion de vérité. Nous choisissons donc de considérer comme crédible et valable toute allégation scientifique, c’est à dire reposant sur une argumentation raisonnée, conforme à la logique formelle, et produisant des théories réfutables.
Et nous affirmons que sont pseudo-scientifiques (et donc invalides) les théories ne pouvant être ni démontrées, ni réfutées. Nous rappelons également que, puisqu’il n’est pas possible de démontrer qu’un phénomène n’existe pas, il appartient à celui qui affirme de démontrer la véracité de ses allégations (si on nous demande pourquoi nous ne croyons pas aux fantômes, nous répondons : pourquoi est-ce que vous y croyez ?)

Enfin nous estimons que les théories pseudo-scientifiques relèvent du domaine de la croyance, et non de celui la connaissance. Nous ne refusons à personne le droit à ses croyances, en revanche nous dénonçons sans nuance le recours à la croyance pour justifier des pratiques qui, par conséquence, n’offrent aucune garantie aux bénéficiaires – et rappelons encore une fois que dans le champ de la thérapie, les bénéficiaires sont des publics en souffrance et en position de faiblesse.

Notre démarche s’inscrit donc dans le cadre d’une critique zététique des positions les plus « étranges » qui nous trouvons aujourd’hui, dans le but d’offrir au public de meilleurs outils pour se protéger contre des pratiques infondées.

 La spiritualité

Bien des professionnels peu recommandables axent leur communication autour de notions spirituelles. Ils postulent habituellement une séparation de l’être humain entre corps, cœur, esprit, mental, âme, psyché, énergie…, sans pour autant expliciter le sens de cette séparation, la définition des parties ainsi découpées, ou la nature des interactions entre les parties.

Ces théories sont influencées par la culture judéo-chrétienne et l’idée de la constitution tripartite de l’Homme (le corps organique, l’esprit en tant que phénomène de pensée, et l’âme comme principe vital), en écho à la Trinité divine père/fils/saint-esprit.

Un thérapeute ne guérit pas : il laisse la guérison se faire. Il peut indiquer les ténèbres mais il ne peut pas apporter la lumière de lui-même, car la lumière n’est pas de lui. Or, étant pour lui, elle doit être aussi pour son patient. Le Saint-Esprit est le seul Thérapeute.
[Extrait du livre Un Cours en miracles, écrit en 1972 par une psychologue sous la dictée de Jésus-Christ, et repris sur le site d’un « équithérapeute »]

Ces théories relèvent de la croyance et non de la connaissance : elles n’ont aucun caractère démontrable, et encore moins réfutable, et il est impossible d’en débattre de façon raisonnée. Elles sont souvent utilisées pour émettre des justifications qui ne reposent sur aucun fondement tangible. C’est un effet « omne ignotum pro magnifico«  (on donne de l’importance à ce qu’on ne sait pas) : le professionnel se donne une apparence savante et respectable à travers des justifications cryptées, d’apparence complexes, hermétiques, voire complètement mystiques.

Or, évidemment, il ne suffit pas qu’une chose soit complexe ou peu compréhensible pour qu’elle soit vraie. De même, l’influence de la spiritualité sur la santé, et son implication dans un processus de soin, restent à démontrer par ceux qui prétendent aider leurs patients par ces moyens.

D’autre part, ces thérapies spirituelles comportent un risque évident de dérive sectaire par le prosélytisme et l’adhésion qu’elles peuvent impliquer.

Les thérapies quantiques

Domaine très en vogue dans l’univers pseudo-scientifique, les thérapies quantiques reposent sur un parallèle hasardeux entre les avancées de la physique quantique (et notamment la découverte des particules sub-atomiques et de l’énergie qu’elles contiennent) et une certaine conception de la notion de maladie (qui est décrite comme une conséquence de déséquilibres énergétiques entre le corps et l’esprit, ou l’organisme et son environnement).

Elles débouchent sur des théories infondées explicitant tout type de pathologie, par exemple l’autisme qui serait lié à des dysfonctionnements vibratoires du cerveau ; et également sur des méthodes de thérapie visant à resynchroniser l’énergie de l’organisme avec l’énergie de l’environnement.

Ainsi, un « équithérapeute » explique :

Nous sommes beaucoup plus qu’un simple mental. Nous sommes un être complet – corps, mental, esprit – constitué d’énergie et qui vibre à une fréquence particulière. Nous communiquons de nombreuses manières avec notre cheval, par notre voix, nos gestes, la position de notre corps, mais également avec un élément peu pris en compte, notre télépathie… Et celle-ci ne peut fonctionner correctement, envoyer un message clair, traduire la pureté de notre intention qu’à partir du moment où elle est nettoyée d’une quantité astronomique de pensées négatives et parasites qui nous assaillent à chaque instant sans que nous en ayons conscience.

La nature des énergies et vibrations mentionnées n’est pas définie, ce qui permet de douter sur la réalité physique des fondements mentionnés.
Le lien entre ces énergies de notre « être complet » et ce que comprend un cheval n’est ni détaillé, ni sourcé : il s’agit d’une simple juxtaposition d’idées infondées et sans relations logiques, mais présentées pour induire l’idée qu’énergies, vibrations, communication, pensées et même télépathie sont naturellement et logiquement corrélées.

La charge de la preuve revenant à celui qui affirme une théorie, et aucun élément matériel ne permettant de la démontrer, ce professionnel de l’équithérapie fait reposer les soins qu’ils prodigue à ses patients sur des bases pseudo-scientifiques pour le moins inquiétantes.

Les références qui n’en sont pas

Cet effet de persuasion est souvent décrit comme « l’effet boule de neige » : on utilise des références pour justifier ses positions, sauf que… les références n’ont elles-mêmes aucune référence sérieuse, voire les références conduisent à celui qui les cite !

Un praticien P développe une nouvelle approche de la médiation équine. P commence par déposer le nom choisi pour garantir son exclusivité sur les développements futurs. Pour se légitimer, il fait annoncer l’arrivée de sa nouvelle approche par la fédération F qu’il préside. Puis il créé un syndicat S représentant la nouvelle approche. Enfin son association A crée la formation permettant de devenir praticien dans la nouvelle approche. P peut ensuite médiatiser la situation en expliquant que c’est la Fédération F qui est à l’initiative du projet, que l’association A forme les futurs professionnels, que ces professionnels sont représentés par le syndicat S.
Que vous vous adressiez à F, à A, ou à S, l’approche semble faire l’objet d’un large concensus et correspondre à une filière toute entière (des praticiens fédérés, un syndicat professionnel regroupant employeurs et salariés, et un organisme de formation). Dans leurs communications, S présente cette approche en citant F, F cite A et S, et A cite F : chacun semble avoir des sources sérieuses et indépendantes… sauf que tout est détenu et porté par P qui est l’unique source.

Autre exemple de référence invérifiable, dans un communiqué d’un « équithérapeute » :

La physique quantique, les neurosciences cognitives affirment haut  et fort que tout est vibrations. Les brins qui forment les connexions  dans le cerveau – les « connectomes » – sont des autoroutes de neurones cruciales pour les fonctions du cerveau, y compris les  pensées, les sensations et les mouvements ! Nous créons nous même  notre propre réalité dans les plans : mental, émotionnel et physique!
UNIQUE et INIMITABLE, [nom de la marque déposée] est une  méthode innovante issue d’anciennes techniques secrètes de Yoga.
Celles-ci permettent entre autres, de relier les mots à leurs énergies  vibratoires. Régénérez vos neurones !

Le professionnel, dans ce cas, fait appel à des références variées (théorie des quanta, neurosciences cognitives, yoga) dans un effet « omne pro ignotum magnifico » : tout paraît splendide à l’ignare. Il défend une approche par une justification syncrétique qui tient uniquement à la multiplicité et à l’aspect honorable des sources qu’il cite, et en aucun cas à la démonstration d’un lien de cause à conséquence entre le fondement et la pratique.

Evidemment, il ne suffit pas de citer des sources respectables pour justifier n’importe quelle allégation : il n’y a ici aucun lien logique entre les travaux en connectonomie et le yoga… il s’agit d’un fondement pseudo-scientifique pouvant faire craindre les pratiques les plus douteuses.

Nous proposons une gamme de sessions en croissance spirituelle inspirantes et personnalisées. Des thérapeutes de renommée internationale, conjointement avec [le praticien] et son troupeau, offrent diverses spécialités conformes à la vision de [nom déposé de la méthode].

Là encore, les sources invoquent un habit de respectabilité internationale : on peut regretter qu’elles ne soient pas citées.

Autre cas d’utilisation de références hasardeuses par un praticien :

Un autre domaine ou les séances [nom de la marque déposée]  donnent  d’excellents résultats, est le « S P M », Syndome Prémenstruel !
Mesdames, chez les amérindiens, Lakota, Navajo… Les Femmes sont  sacrées pendant leurs périodes de « Lune ». Elles se purifient !

Le fait de citer la culture amérindienne est ici, s’il est besoin de le préciser, sans lien logique avec les effets supposés de la méthode thérapeutique proposée.

Les compétences secrètes du cheval

Le cheval lui-même, source de bien des projections anthropomorphiques et de bien des égards, n’est pas épargné par les théories fantaisistes venant justifier les pratiques de professionnels de la médiation équine.

Ainsi, sur le site d’un thérapeute pouvons-nous lire :

[…]il est important d’être vigilant lorsqu’on introduit un animal dans un environnement médical ou thérapeutique, par respect pour ce dernier. Cet animal va absorber automatiquement l’énergie de la personne traitée. Si nous ne sommes pas attentifs au comportement de cet animal, nous courons le risque qu’il amasse trop de ces énergies au fil des clients et des jours qui passent. Son système nerveux se surchargera, et il risquera de dépérir. Il est donc primordial d’espacer les séances avec le même animal, de canaliser ces énergies en procédant à des nettoyages énergétiques des lieux en incluant l’animal dans le processus, et en priorité de cesser d’utiliser l’animal comme tampon de nos propres émotions. […]
Dans le cas inverse où le thérapeute s’engage dans un partenariat inconscient avec l’animal et se charge seul de toute l’opération en ne se souciant guère de l’implication de la nature, ni de son apport des meilleures matières, moyens et actions pour faire aboutir le processus entrepris, cette dernière prendra acte du fait que cette activité est dominée par l’homme et que l’interaction entre la nature et l’homme est à présent devenue impossible. Le cheval ne pourra s’enlever de cette activité de sa propre initiative, mais l’intelligence de la nature ne maintiendra qu’un minimum de fusion, un partenariat minimal avec l’activité qui s’y déroule. La nature désertera l’endroit. Les résultats positifs ne pourront donc qu’être tout aussi minimes.

Des théories faisant appel à la nature et à ses forces (sans pour autant définir de quelles forces il est question), en invoquant des conséquences neurologiques graves sans qu’il n’existe de cause matériellement observable, en faisant appel à des rîtes de purification en lien à des fondements spirituels mais à aucun phénomène observable, qui présentent une argumentation intuitive sans connexions logiques : ce sont là encore des croyances qui sont les fondements et non des connaissances. Les allégations sont pseudo-scientifiques et servent la communication d’une certaine idée de bien-traitance animale nourrie par l’utilisation de la culpabilisation et de la peur autour de risques infondés.

Le magnétisme animal

De même, on trouve fréquemment chez des professionnels ne disposant pas de base scientifique dans l’étude du comportement du cheval des références à des notions pouvant se rapprocher du magnétisme animal et de la théorie du fluide universel.

Dialoguer avec le cheval peut être incroyablement thérapeutique sur le plan physique, mental et spirituel car il nous aide à réveiller des capacités, oubliées depuis bien longtemps. C’est ainsi que le cheval contribue à nous guérir de nos propres malaises et blessures et nous amène à retrouver un équilibre et une paix tant recherchés.

Ces théories infondées postulent l’idée de l’existence d’un « fluide » reliant tous les éléments de la nature entre-eux, et permettant leurs interactions. Les professionnels faisant référence à ces théories attribuent au cheval (représentant de la nature) un rôle de régulateur des fluides de l’homme malade. Décriées comme charlataniques, ces théories ne correspondent à aucune réalité observable et n’ont aucune validité scientifique.

Les promesses de résultat

Quoi de plus convaincant qu’un professionnel vous garantissant un résultat ? Comme cet « équithérapeute » :

Un manque d’abondance grignote jour après jour, année après année, l’estime de soi, augmentant simultanément le doute de soi. L’abondance n’est pas seulement liée au thème de l’argent, elle se rapporte à la prospérité dans chacun des aspects de notre vie. Pourquoi vous semble t-elle refusée ? Vous allez le découvrir pendant ce stage, assurément.

Rappelons que la déontologie du soin ne permet en aucun cas de garantir un résultat, mais contraint en revanche le professionnel à une obligation de moyens. Un équithérapeute sérieux est modeste sur l’effet possible de ses actions (il ne s’engage pas à obtenir un effet, un résultat ou une guérison), et il les mène toujours dans une démarche raisonnée privilégiant systématiquement les intérêts du patient (démarche dont il peut débattre).

La publication de recommandations

Certains professionnels cherchent à montrer l’efficacité de leurs pratiques à travers la méthode de la recommandation : lorsque leurs explications ne sont pas présentées, ou lorsqu’ils expliquent les fondements de leurs pratiques en des termes peu convaincants, l’argument qu’ils choisissent pour convaincre de faire appel à eux est de publier des témoignages élogieux de leurs clients.

Cette journée […] m’a permis de mieux comprendre mon propre fonctionnement et d’adapter celui-ci au quotidien quelques soient les relations (prof., amicales, familiales…).
Le 1er contact avec le cheval fût tellement révélateur !
Il y a un réel investissement personnel que je souhaite à tout le monde.
ici à […], j’ai appris à aimer la vie

Rappelons simplement que les témoignages publiés :

  • n’offrent aucune garantie d’authenticité ;
  • sont choisis et publiés par le professionnel lui-même ;
  • et ne donnent aucune garantie aux futurs clients.

Les recommandation ne sont donc pas fiables et, au même titre que le bouche à oreille, ne peuvent pas constituer à elles seules un argument valable pour justifier du sérieux d’un praticien.

Notons enfin qu’aucun thérapeute ayant pris un engagement déontologique ne demande de témoignage à ses patients, ni ne publie leurs noms.

Conclusion

La science avance, mais la science ne sait pas tout : demeurent de grandes questions pouvant impliquer la santé et nos représentation de l’avenir. En l’absence de réponses définitives, ces questions potentiellement angoissantes ouvrent la porte à toutes sortes de théories infondées dans lesquelles s’engouffrent des professionnels plus ou moins bienveillants qui cherchent à attirer une clientèle en apportant de l’espoir.

Ils fondent le plus souvent leurs pratiques sur des arguments émotionnels, sur l’aspect nouveau, extraordinaire ou spectaculaire de leurs pratiques, et cherchent à susciter une adhésion de croyance plutôt qu’une adhésion raisonnée.

Ces dérives, même si elles restent rares en médiation équine, nous invitent à :

  • maintenir notre vigilance critique en éveil ;
  • poursuivre nos efforts pour préciser et diffuser les fondements raisonnés de l’équithérapie ;
  • nous assurer du développement de l’esprit critique chez les futurs équithérapeutes.